ßßHome   |    ß Zurück

Mon chemin dans la sciure

Par Edmund Schönenberger

Traduit de l'allemand par J.C. Simonin

 

Par un beau jour de printemps, en pleine 2ème Guerre Mondiale, dans un petit bled de paysans, je suis sorti du sein de ma mère et ai déboulé sur le territoire de la ploutocratie suisse.

 

Mon grand père paternel était maître d'école, mon grand père maternel était maître d'école, mon père était maître d'école, ma mère était maîtresse d'école. Mes géniteurs habitaient dans la maison d'école du bled. Dès le premier jour, je suis allé à l'école.

 

Durant un quart de siècle, j'ai passé en tant que sujet de cette cratie au travers de toutes leurs institutions scolaires. La deuxième s'appelait jardin d'enfants. Je me demande maintenant pourquoi toutes ne portaient pas le même nom.

 

"Maintenant, y en a marre", me dis-je, pris une année sabbatique et développai un premier principe: Aller fourrer mon nez partout où cela ne me regardait pas.

 

En tant que chauffeur, je transportai, entre le fin du fin et l'aigrefin, toute une humanité à travers la géographie. En tant qu'agent d'assurance et qu'agent en publicité, j'explorai les intestins de la cratie. Au cours d'un "cours interdisciplinaire post diplôme" j'absorbai toute leur "sagesse" Un engagement sur le terrain en Afrique me fournit l'occasion d'observer de près la succion de leurs tentacules.. En qualité de greffier de tribunal, je pus observer le fonctionnement de leurs sbires et pénétrai dans la structure opérationnelle de tout le système. Je sus alors que je vivais dans un pays où toutes les lois sont en faveur des crates et partant, contre moi. Vivre ici signifiait bosser comme un esclave.

 

"Tout système de domination coule comme une passoire, il faut seulement savoir où sont les trous", telle fut ma prochaine devise. Je commençai à prendre au mot les rigolos qui prêchent la "Liberté, Égalité, Fraternité" et, pour un premier essai,  tirai au travers de toutes les instances le règlement concernant les taxis de la métropole suisse de la haulte Phynance. Ce règlement maintenait deux classes de taxi et créait donc une inégalité. Ma requête fut rejetée par la plus haute instance judiciaire, le Tribunal Féderal.

 

Un peu plus tard, le système à deux classes fut aboli. Ma semence avait donc levé.

 

"Donne-moi un seul point d'appui et je fais sortir le monde de ses gonds". La porte d'entrée de la ploutocratie helvétique tient à deux puissants gonds: La Justice pénale et la psychiatrie forcée. Quiconque leur barre la route ou refuse sa complicité sera mis au trou par les crates. Il est évident que c'était là que je devais faire levier. Je devais devenir le défenseur des victimes du système pénal et de la psychiatrie forcée. Aussitôt que je m'inscrivit pour une patente idoine, les représentants du Pouvoir sentirent qu'un mauvais coucheur était apparu. Mon stage passé en un lieu d'internement ne pouvait être compté, prétendirent-ils,  et pour cette raison, ils me refusèrent l'accès aux examens. Même après une deuxième requête, je fus rembarré par le Tribunal Fédéral.

 

Et pourtant, je suis devenu avocat.

 

Je fus cofondateur du Collectif d'Avocats zurichois et suis fondateur de l'association PSYCHEX. Deux décennies durant, j'ai oeuvré comme le réceptacle. Des plaintes des victimes de la ploutocratie helvétique. C'est plus de 7'000 personnes qui se sont confiées à moi. Je suis l'une des personnes les mieux informées sur les zones d'ombre de ce pays.

 

À peine les portes du collectif furent-elles ouvertes que déjà les gardiens de la vertu ploutocratique nous collaient des amendes salées, à mes collègues et à moi-même.

 

Mais elles furent annulées par le Tribunal fédéral.

 

Avec d'autres collègues, je publiai des histoires de grèves de la faim de détenus. Les gardiens nous condamnèrent et le Tribunal Fédéral confirma la sentence.

 

Avec une nouvelle équipe, nous défendîmes deux ennemis de l'État dans le Canton de Berne. Nous comparâmes leur régime d'incarcération à de la torture. Les Bernois nous retirèrent la patente définitivement, le Tribunal Fédéral rapporta la décision, sur quoi les Bernois nous interdirent toute activité professionnelle pendant un an. Les Zurichois confirmèrent avec une interdiction professionnelle de quatre mois. Nos recours furent rejetés.

 

En Suisse, les prévenus sont bouclés non par un juge, mais par l'accusation. Les "instances compétentes" affirment avec obstination que le procureur est également un juge. La Cour Européenne de Justice partage cet avis

 

Sans me décourager, je me tournai - malgré un taux de réussite de 3 %° - à nouveau vers la Cour avec la même requête, cette fois avec succès.

 

Un procureur ne voulait pas faire parvenir à un prévenu en détention préventive une lettre dans laquelle je le rendais attentif à son droit de ne pas témoigner. Un représentant du Conseil Fédéral ainsi qu'un juge fédéral défendaient à Strasbourg le point de vue de la Suisse. La Cour Européenne constata que mon droit fondamental d'envoyer une lettre était bafoué.

 

Les chances qu'une requête soit déclarée recevable par la Commission Européenne des Droits de l'Homme sont de moins de 1 %. La moitié de mes six requêtes a été déclarée recevable.

 

Après dix ans de pratique, je décidai de ne plus traîner de cas jusqu'à Strasbourg. En lieu et place, je parlai ouvertement de tromperie. Les trois requêtes sur mille déclarées recevables sont célébrées de telle sorte que tout un chacun peut croire que les droits fondamentaux sont respectés en Europe. Mais si  les 997 autres, qui sont soit non traitées, soit rejetées, recevaient autant de publicité, le bon peuple réaliserait très vite à quel point les Droits élémentaires sont méprisés en Europe. Je considère cette décision comme un succès, parce qu'elle me tire d'une impasse.

 

Dans un plaidoyer,  j'ai reproché à un procureur de District de commettre un crime après l'autre au sens de l'art. 5 al. 3 CEDH, étant donné qu'il fonctionnait simultanément en tant que procureur et juge pénal. Je fus condamné à une amende à cause de cela.

 

Des quelque 300 prévenus que j'ai défendu, environ la moitié alla en taule, alors que l'autre moitié fut informée par un quelconque morceau de papier qu'elle était au bénéfice du sursis, ou d'une mesure ambulatoire, ou tout simplement acquittée.

 

De la centaine de personnes en traitement psychiatrique forcé et défendues par moi, seules 5 ne furent pas relâchées immédiatement. L'un de ceux-ci reçut ma visite six fois dans sa clinique, avec chaque fois un autre journaliste. Après la lettre d'un rédacteur en chef au directeur de la clinique, la porte s'ouvrit. Pour un autre, j'envoyai le jour d'après une nouvelle demande. Après une semaine, il était libre. Un taux de succès fatal.

 

Les conséquences des mes folles démarches étaient remarquables. Le tribunal cantonal compétent se composait de deux psychiatres et d'un juge. Une  fois ou l'autre, l'un de ces psychiatres allait visiter la victime dans sa clinique et établissait un rapport qui circulait entre les deux autres membres du tribunal. Des quelque 250 demandes de libération  présentées annuellement au cours des dix premières années, seulement dix en moyenne étaient acceptées. J'exigeai que l'intéressé(e) fût entendu(e) par tous les trois membres du tribunal. Une première requête fut balayée par le TF. Vint la deuxième. elle fut acceptée. Lorsque lors de l'entrevue consécutive, seul le psychiatre se pointa, je le renvoyai à la maison. Le tribunal persista dans son attitude et laissa ma cliente se morfondre. Quatre appels furent nécessaires pour que le Gouvernement cantonal zurichois daigne enfin modifier la procédure. Au cours du semestre suivant la révision, 42 internés de force furent relâchés sur ordre du tribunal, durant l'année suivante 110 internés de force furent relâchés.

 

Un beau jour, je me déplace à vélo dans une rue à sens unique dans le mauvais sens. Deux gardiens de l'ordre me traînent au poste alors même que je leur offre de payer l'amende de suite. "Je vous reproche d'avoir emprunté un sens unique dans le mauvais sens", me dit le porte-parole, "qu'en dites-vous ?" 

 

"Que je fais usage de mon droit de ne pas répondre." "ça ne va pas ici," réplique-t-il. Je persiste dans mon refus.  Le chef de poste s'en mêle et conseille à son collègue de noter ce qu'il a vu et ma réponse dans son rapport. "Voilà, c'est correct", dis-je. "Asseyez-vous sur le banc là-bas" m'ordonne le flic rageusement. "Il n'existe aucun règlement qui m'oblige de m'asseoir. Je préfère rester debout." Le pandore explose. Il m'empoigne et me flanque dans une cellule d'arrêt. Après une demi-heure, je sors du poste. Le jour suivant, je dépose plainte pour séquestration. Trois mois plus tard, la plainte est transmise aux deux pandores. Ils répliquent par une contre plainte: Je - non armé - suis censé les avoir  épouvanté - ils ont chacun un flingue à la ceinture. La procédure contre les deux aboutit à un non-lieu, je suis déclaré coupable. Appel, recours en nullité,  recours de droit public sont rejetés. Le recours en nullité devant le TF ne sera jamais traité. Pas d'inscription au casier judiciaire. La chambre des avocats me collent un mois d'interdiction professionnelle.

 

Le "droit de recours" est un piège.  Il est clair que les loups ne se bouffent pas entre eux.  Selon un dosage savant, autant de plaintes qu'il est nécessaire sont déclarées recevables dans ce pays,  pour les exploiter à des fins de propagande. En même temps, la hiérarchie s'établit parmi les instances. J'ai largement usé de cette particularité. Toujours, lorsqu'un jugement de l'instance subalterne ne m'a pas convenu,  je l'ai refilé à l'instance suivante. En même temps que l'instance supérieure tançais l'instance subalterne, le/la client/e passait entre les mailles du filet. Une condition indispensable produire des recours à la chaîne est le manque de respect total envers tous les sbires des ploutocrates. Le problème a de plus une composante mathématique. Des taux moyens de succès de 20 % devant la première instance, de 15 % devant la deuxième, de 10 % devant la troisième et de 5 % devant la quatrième s'additionnent à 50 %. Des quelque 100 recours que j'ai traînés jusque devant la quatrième instance, j'ai gagné un petit tiers. Je sentais que trop de succès nuisaient à mon âme..  Idéalement, dans les causes de mes client(e)s, le succès et l'insuccès devraient se tenir la balance. Selon ce principe, j'ai souvent renoncé à représenter des cas à la vérité perdus,  mais prometteurs  et ai  finalement retiré la quatrième instance de mon répertoire.

 

Un jour, vêtu de vieilles frusques comme d'habitude, je défends un prévenu sur son trente et un en procédure d'appel devant le Tribunal cantonal. Les débats s'étendent jusque vers midi, l'escorte policière est remplacée. Deux nouveau policiers suivent les débats depuis l'espace réservé aux spectateurs. Mon client s'exprime en dernier, le Tribunal discute ouvertement le verdict, ce qui signifie en termes clairs que les juges bavardent au sujet d'une décision déjà prise depuis longtemps. Mon client perd le procès. La séance est levée. Les deux policiers m'encadrent étroitement, alors que mon client quitte la salle la tête haute. "Pas çui-là, l'autre là-bas," braille le Président. Les policiers m'abandonnent, se taillent derrière mon client et arrivent juste à temps pour lui passe les menottes devant le portail. Difficile de dire se qui se serait passé si le président n'avait pas braillé.

 

Dans un pamphlet intitulé "À bas la Démocratie", j'ai encore proclamé mon État Libre. Mon territoire est aussi grand que la semelle de mes souliers. Les frontières se déplacent sans cesse.

 

En dépit du fait que mon activité de défenseur des victimes de la psychiatrie ne tombe pas sous le coup du monopole des avocats, je fus en tant que secrétaire de l'association PSYCHEX condamné par la chambre des avocats à une amende maximum,  parce que j'avais défendu deux clients. De plus, je fus menacé d'interdiction professionnelle au cas où je viendrais à nouveau à contrevenir à la loi sur le barreau.

 

Le  cas suivant. Il me fut reproché d'avoir été en vacances au cours d'un procès, sans avoir organisé un remplacement. Non seulement ce reproche était déplacé, mais en plus, j'avais demandé qu'un autre avocat reprenne l'affaire. Il fut prétendu que j'avais envoyé cette requête à la  mauvaise instance, c'est ce qu'il en resta, alors que la loi sur les tribunaux stipule qu'un envoi mal adressé doit être automatiquement transmis à son destinataire. À nouveau, la chambre des avocats me condamna à la plus haute amende et  menaça sur un ton d'ultimatum de réexaminer la prochaine fois mon permis d'exercer.

 

Et le cas se présenta. Je défendais deux soeurs octogénaires, qui avaient vécu durant 45 ans en symbiose. Un beau jour, l'une d'elle fut extraite brutalement de l'appartement commun, bouclée dans un hôpital et le couple fut ainsi séparé. Au nom des deux soeurs, je présentai au tribunal compétent une demande de libération  Il fut accepté. Dans une requête à une autre instance judiciaire, je demandai que fût constatée la violation de plusieurs droits fondamentaux. L'instance judiciaire en question savait que j'avais été accepté en tant que défenseur commun Elle estima cependant que le fait que les deux dames aient vécu si longtemps ensemble faisait conclure à un conflit d'intérêt évident entre les deux (sic) et que pour cette raison, j'aurais pu en défendre seulement une. La chambre des avocats, qui attendait avidement ,  partagèrent ce point de vue et me collèrent une interdiction professionnelle définitive. Afin d'exposer la parfaite idiotie de la justice, je traînai le cas jusque devant le Tribunal fédéral, qui annula l'interdiction. Sans s'en soucier, la chambre des avocats me colla une interdiction professionnelle de plusieurs années.  Étant donné que je considère la voie légale  comme une perte de temps et que je n'avais de plus aucune envie de me compliquer l'existence avec d'autres recours, j'ai accepté de vivre avec cette interdiction.

 

En ma qualité de secrétaire de l'association Psychex, j'ai fait sortir des quantités de gens des cliniques. Dans de rares cas, j'ai joué le rôle d'avocat en tribunal dans toute la Suisse et dans le Canton de Zurich, étant donné que dans de telles procédures, le monopole d'avocat ne s'applique pas.

 

Histoire de se tenir en forme, j'ai lancé entre toutes ces activités une initiative qui n'aboutit pas, en vue de faire supprimer la chambre des avocats.

 

Au tournant du millénaire, j'ai estimé que le Maure avait fait son oeuvre, le Maure pouvait aller. Je me suis donc retiré dans une maisonnette au milieu d'un grand jardin perdu dans un paysage originel, quelque part entre l'Atlantique et la Mer Noire.

 

Durant les mois d'hiver, je voyageai en Ploutocratie en qualité de prédicateur ambulant et plaidai pour une interdiction de l'intérêt sur les prêts. Malgré une défense farouche, l'initiative aboutit. Elle fut même - contre toute attente - acceptée.

 

Le jour d'après, les blindés de l'Armée suisse prirent position devant le Palais Fédéral, le Tribunal Fédéral ainsi que devant tous les bâtiments cantonaux. Les blindés restants patrouillaient sur les routes. Quelques rails de trams furent tordus.

 

Le lendemain des ces événements, les Ploutocrates passèrent aux aveux complets. Oui, c'était vrai qu'ils avaient mené le peuple en bateau durant les deux derniers siècles. Et que la Démocratie n'existait que sur le papier. Qu'en réalité, ils avaient gouverné le monde à l'aide de la gigantesque fortune accumulée depuis Adam et Ève. Et que le peuple n'avait décidé que sur les canalisations et le reste de l'infrastructure et par conséquent uniquement sur sa propre merde.

 

Et de suite, la Constitution ploutocratique fut extraite de son tiroir. Quel progrès ! Enfin, la théorie constitutionnelle s'accordait avec la pratique courante. Le peuple jubila, parce qu'il était enfin libéré de cette sornette qu'il était le Souverain.

 

Par un jour d'automne  au milieu de la Troisième Guerre mondiale,  je me trouvais à bord d'un voilier en mer. Je fus pris dans un ouragan et fit naufrage. Je ne sais plus exactement si je me suis pitoyablement noyé, ou si je me suis sauvé sur une île o'u j'attends la fin de mes jours dans une petite baraque de pêcheur.